vendredi 7 août 2009

L’enjeu de l’eau dans les pays riverains de la Méditerranée

La question de la disponibilité de l’eau figure parmi les principaux défis auxquels les sociétés méditerranéennes sont confrontées. La pénurie traditionnelle de la ressource en eau dans la plupart des pays du sud de la Méditerranée, les tensions et conflits nés du partage des eaux entre les Etats, la pression accrue des besoins telle qu’elle résulte en particulier de la croissance démographique rendent plus que jamais nécessaire la recherche de solutions fondées sur le partage des expériences, la mise en commun des savoirs techniques et la coopération internationale et particulièrement euro-méditerranéenne.




Ces batailles pour « l’or bleu sont peut-être en passe de remplacer les chocs pétroliers des années 1970 ». Certains experts s’aventurent même à prédire que les grandes migrations forcées des décennies à venir trouveront leur origine dans un « stress hydrique devenu insupportable ». Demain, « des réfugiés de l’eau ? » Quelle gestion, équitable et respectueuse de l’environnement, faut-il mettre en place pour que chacun puisse avoir accès à cette ressource naturelle, indispensable à la vie ? Comment en réduire la surconsommation ? Comment en repartir la distribution et comment la préserver des risques de pollution ... ? Telle est la problématique à résoudre aujourd’hui. Dans ce dossier, j’aborderai la question cruciale de l’eau dans l’espace Méditerranée. Cette ressource vitale et nourricière de l’humanité et de la nature, connaît une tension dramatique dans la rive sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient. Les principales causes sont la sécheresse et une démographie galopante. Les pays de la rive nord de la Méditerranée devront en revanche, partager leurs expériences pour donner une sérieuse impulsion à la coopération dans sa gestion équitable et durable. Ce qui exige de l’imagination tant au niveau technique que politique. C’est pourquoi j’ai jugé utile de diviser mon plan en deux (2) parties :
Partie A : contexte d’une crise qui englobe
Les contraintes climatiques et démographiques. - Les besoins économiques croissants.
1 L’or bIeu : L’Eau, le grand enjeu du XXIe siècle, écrit par Maude Barlow et Tony Clarke.
Partie B : Géopolitique de l’eau
1- Une source de conflits au Proche-Orient
2- Perspectives d’avenir Et enfin une conclusion dans laquelle je considère que l’eau devrait être un vecteur de paix et c’est à ce défi que les pays devront travailler tous ensemble afin de perpétuer les promesses offertes par les civilisations méditerranéennes depuis l’Antiquité.

Partie A : contexte d’une crise
Chapitre 1 : contraintes climatiques et démographiques
1- Contraintes climatiques
Si un trait caractérise bien le bassin méditerranéen, c’est celui du climat. Le climat méditerranéen relève de la catégorie des climats tempérés chauds. Son originalité tient en sa position moyenne en latitude (entre 30 et 45°) (2) sur les façades occidentales des continents. De ce positionnement géographique découle une alternance saisonnière marquée, liée à la jonction de deux masses d’air aux caractéristiques bien identifiées ; l’air tropical chaud et sec et l’air polaire, froid et humide. En hiver, ce dernier se dilate vers le sud et les dépressions du fond polaire parcourent, d’ouest en est, les régions méditerranéennes. Au contraire, durant l’été, l’air tropical reprend le dessus, imposant durant plusieurs mois, chaleur et absence de précipitations. La mer, masse d’eau tiède ou chaude joue également son rôle de tempérance thermique. On peut reprendre là la classification posée par le géographe E. de Martonne. Celui-ci distingue un climat portugais caractérisé par une sécheresse courte et modérée, avec des précipitations convenables ; d’un climat hellène où la période de sécheresse est nettement plus longue.

Le premier concerne une bonne partie de l’Ibérie dite sèche, la portion méditerranéenne du sud français, la péninsule italienne, hors les Apennins, une bande de terre large d’une centaine à une dizaine de kilomètres, à partir de la côte dalmate et au Maghreb, de Tanger à l’est d’Alger. Le climat hellène se retrouve en Grèce comme son nom le laisse supposer, mais concerne aussi le sud de l’Italie, la Calabre et les Pouilles, la Turquie, sauf dans sa partie la plus continentale, l’Anatolie, le Maghreb au-delà de l’Algérois, jusqu’au cap Bon. Une rapide comparaison entre les villes de Marseille et d’Athènes permet de visualiser les différences les plus évidentes entre ces deux climats méditerranéens. En ce qui concerne le pourtour de la Méditerranée, tout incline à croire que nous allons dans le sens d’une aggravation des sécheresses, de l’aridité mais aussi de l’irrégularité des précipitations, avec notamment un accroissement de leur violence. En Algérie, comme ailleurs dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, les ressources en eau sont caractérisées par leur rareté et leur inégale répartition dans l’espace et dans le temps.

2 L’eau autour de la Méditerranée, Philippe Dugot. Page 14. Ce contexte naturel défavorable est accentué par des cycles de sécheresses prolongés et qui durent d’ailleurs, pour l’Algérie, depuis plus de trois décennies. Le tableau climatique du bassin méditerranéen peut se résumer en un mot : l’irrégularité ; irrégularité entre les saisons et irrégularité entre les années. Si on ajoute à cela l’intensité élevée des précipitations et la concomitance entre saison chaude et saison sèche, il est aisé de comprendre que le facteur climatique pèse d’un poids très lourd dans le problème de l’eau, obligeant à prévoir et donc à aménager.

2- Démographie galopante

Les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM) après une croissance démographique explosive semblent être résolument entrés dans la transition démographique. Avec les nuances selon les pays (de façon plus précoce en Tunisie et plus tardive en Algérie), tous connaissent une diminution significative de la fécondité. La baisse de fécondité ne va donc avoir des effets qu’à moyen terme sur la croissance de la population. Cette dernière va continuer de s’accroître. Si aujourd’hui on peut estimer la population des pays bordiers de la Méditerranée à 440 millions, il ne faut jamais perdre de vue que d’ici à 2025, ce total devrait augmenter d’environ 100 millions ; dans cette augmentation, la part des PSEM sera déterminante puisque leur poids dans la population du bassin passera d’un peu plus de 50% en 1999 à plus de 60% en 2025.(3) Rien de dramatique ne peut-on rétorquer surtout au regard des prévisions catastrophiques qui ont pu être faites ..., sauf que cette croissance démographique va se surimposer à une situation d’indigence déjà prononcée et dans un contexte où l’abondance des uns est de plus en plus visible, rendant la situation d’autant plus inacceptable pour les plus pauvres. Le fait démographique conduit donc à une aggravation incontestable du problème de l’eau dans les prochaines décennies, et ce, dans tous les PSEM. Au Nord comme au Sud, cette croissance démographique profite pour l’essentiel aux villes. Aujourd’hui, le taux d’urbanisation est supérieur à 50% dans tous les pays bordiers (sauf peut-être en Egypte, mais cela est aussi dû à une définition fort restrictive de l’urbain) et en 2025, les villes devraient rassembler 75% de la population totale des régions méditerranéennes. Si le long des côtes européennes, au moins dans le bassin occidental, cette croissance urbaine signifie et entretient un dynamisme économique, il n’en va pas de même dans les pays du Sud.

3 L’eau autour de la Méditerranée, Philippe Dugot, page 27. La croissance des villes y est liée à un solde naturel et un solde migratoire positif qui reflète davantage la crise du monde rural que sa modernisation ou le besoin de main-d’œuvre en ville. De telles mutations démographiques ont considérablement accru la demande en eau. C’est donc un double défi qui se pose pour tous les responsables : comment nourrir une population en constante augmentation ? Comment satisfaire une demande urbaine qui grandit de façon exponentielle ?

Chapitre 2 : les besoins économiques croissants
1- L’eau comme seule voie de l’intensification agricole L’agriculture, avec plus de 125 milliards de mètres cubes, absorbe 85% des eaux disponibles. Ce pourcentage est énorme et dépasse de beaucoup la moyenne mondiale (69%). Il résulte de la double contrainte climatique et démographique qui pèse sur les économies agricoles. L’irrigation est nécessaire pour prolonger l’année agricole ou tout simplement pour autoriser la culture notamment dans les espaces désertiques. Par ailleurs, la demande alimentaire d’une population en plein essor et en processus d’urbanisation est en constante augmentation. L’intensification grâce à l’irrigation est la seule réponse qui a été apportée, même si dans certains cas l’intensification des cultures en sec aurait été possible. L’espace agricole est très restreint et beaucoup de terres marginales sont déjà malheureusement cultivées. Les politiques engagées par les Etats de la région pour la mobilisation des eaux ont été de grande ampleur. Elles ont mis l’accent sur l’équipement en hydraulique avec la construction de grands barrages. Les modalités ont varié selon les ensembles territoriaux et les conditions naturelles.
On peut distinguer les types de situation :
Au proche et au Moyen-Orient, le cas de figure quasi-unique est celui de l’aménagement des grands fleuves allogènes qui traversent la région.
Le plus gigantesque est le barrage d’Assouan sur le Nil, inauguré en 1971 et qui fournit 60 milliards de mètres cubes /an.
L’équipement du Tigre et de l’Euphrate est sur le point de s’achever.
Les pays du Maghreb ont fait également de grands efforts de mobilisation des eaux pour l’irrigation selon des modalités différentes, car on ne rencontre pas d’organismes fluviaux comparables. Le modèle est celui du barrage de retenue, auquel est associé un périmètre d’irrigation. Plus de 140 grands barrages offrent une capacité de stockage de 16 km3. L’effort est particulièrement net au Maroc qui, avec 85 barrages, stocke les % des disponibilités maghrébines. L’effort est soutenu en Tunisie, alors que l’Algérie accuse un incontestable retard.
Enfin, dernière modalité de mobilisation des eaux, celle de la Libye qui, à l’instar de la péninsule Arabique, puise abondamment dans les eaux fossiles du Sahara, acheminées sur le littoral méditerranéen par la « grande rivière artificielle ». Malgré ces efforts incontestables, les objectifs fixés à l’agriculture sont loin d’être atteints. La sécurité alimentaire est loin d’être assurée. La production agricole n’a pas progressé au rythme des extensions de l’irrigation.
2- Développement industriel et touristique Là encore l’eau apparaît comme un fluide irremplaçable dans nombre de process industriels. Elle est très souvent utilisée pour le refroidissement des installations. Dans un pays comme la France, plus de 60% de toute l’eau prélevée l’est dans le cadre du refroidissement des centrales thermoélectriques, principalement nucléaires. A titre d’illustration, on peut rappeler ici les niveaux de consommation jugés nécessaires pour quelques productions :
10 l d’eau sont nécessaires pour raffiner 1l de pétrole. 250 000 l d’eau pour 1 tonne de pâte à papier.
270 000 l d’eau pour 1 tonne d’acier. L’essor industriel est réel et devrait se renforcer, car étant encore perçu comme un palier indispensable au développement. On recense de grands pôles industriels urbains au Nord (Marseille, Barcelone, Gênes, la plaine du Pô, Valence, etc.) Mais aussi au Sud, plus récents (Alger, Tunisie, Alexandrie, Izmir, etc.). Nombreux sont les Méditerranéens qui ont mis en place des politiques volontaristes d’industrialisation. Divers PSEM ont également eu des velléités de construction d’un appareil industriel puissant en adhérant notamment au credo des industries industrialisantes. Ce fut le cas de l’Egypte et de l’Algérie avec là encore des résultats pas toujours probants. Parmi l’ensemble des activités industrielles, le traitement des hydrocarbures mérite d’être isolé car ayant suscité d’importants sites dans les PSEM et les régions méridionales des pays du Nord. Mentionnons les installations d’Arzew, de Skikda en Algérie, de Bizerte en Tunisie, de Ras Lanouf, de Marsa El Brega et de Tobrouk : en Libye, de Suez en Egypte, de Mersin et d’Iskenderun en Turquie mais aussi de Catane, d’Augusta et de Gela en Sicile ou d’Algesiras et de Carthagène en Espagne . Si à cet appareil industriel on ajoute la myriade de petits établissements manufacturiers qui existent dans les pays méditerranéens, l’industrie apparaît en définitive comme un utilisateur d’eau non négligeable. En plus des usages domestiques liés aux besoins de la population résidante, l’eau potable distribuée est également sollicitée par les touristes. Les aménités climatiques et un riche passé historique se conjuguent pour faire du bassin méditerranéen l’un des espaces touristiques majeurs du monde. Avec 250 millions de visiteurs nationaux et internationaux, dont 150 millions de touristes internationaux, les pays du bassin méditerranéen, au début des années 90, totalisent 30% des flux touristiques mondiaux, faisant du bassin la première destination touristique mondiale. Les pays de la rive nord se taillent la part du lion (France, Espagne, Italie). Le tourisme constitue une activité pourvoyeuse de devises. L’Algérie, la Libye et la Syrie, parmi les pays PSEM n’ont toujours pas manifesté de velléités de développement du secteur touristique.

Partie B : Géopolitique de l’eau
Chapitre 1 : une source de conflits au Proche-Orient
1- La guerre de l’eau : Le problème de l’insuffisance des ressources en eau au Proche-Orient en général, en Palestine et en Israël en particulier, a incité les observateurs à affirmer que l’eau sera la cause de la prochaine guerre dans la région. Un tel scénario peut paraître éloigné de la réalité étant donné que les guerres actuelles sont encore essentiellement motivées par la volonté de s’emparer de territoires et, de plus en plus, des ressources pétrolières, comme nous avons pu le constater avec l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Cependant, étant donné les taux de croissance démographique élevés de la région et les problèmes de sécheresse que celle-ci connaît, tout effort visant à réduire les tensions et à parvenir à un véritable règlement de paix devra s’attaquer obligatoirement au problème de l’accès à l’eau. L’inégalité d’accès à cette ressource et de sa consommation entre Israéliens et Palestiniens est d’une injustice de plus en plus criante. Un Israélien consomme environ 4 fois ce que consomme un Palestinien. Les colons israéliens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui s’offrent le luxe des piscines, consommeraient 600 litres d’eau par jour tandis que les Palestiniens en consomment moins de 100 litres, chiffre qui correspond au besoin minimum estimé par L’OMS. (5).Depuis la construction du mur israélien, la situation n’a fait qu’empirer. Israël a rendu inutilisable une cinquantaine de puits, empêché l’approvisionnement en eau de villages palestiniens et détruit des conduites d’eau et autres infrastructures connexes. Les responsables israéliens, qu’ils appartiennent au Likoud ou au Parti travailliste, utilisent depuis longtemps les ressources en eau situées dans les territoires palestiniens comme prétexte pour conserver les territoires occupés. Ainsi, lorsqu’on essaie de comprendre la nature du conflit au sujet de l’eau et des moyens de le résoudre, il est important, non seulement de déterminer la nature des ressources en eau disponibles et d’envisager la manière de les partager, mais il faut aussi analyser les intérêts territoriaux d’Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et examiner comment le droit international et les accords de paix signés jusqu’ici abordent la question d’une répartition « équitable et raisonnable » de l’eau.
5 L’Atlas mondial de l’eau, Salif Diop et Philippe Rekaze Kacewicz, page 51. Les conflits liés aux grands barrages ne s’arrêtent pas aux provinces, mais peuvent également faire l’objet de guerres entre pays. Le Tigre et l’Euphrate, les grands fleuves qui alimentent l’agriculture de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak depuis des milliers d’années, ont fait l’objet de plusieurs grands conflits entre ces trois pays. Les deux fleuves prennent leurs sources en Turquie, dans l’est de l’Anatolie, et ce pays dispose d’une souveraineté absolue sur les eaux de son territoire. La position turque est la suivante : « L’eau nous appartient autant que le pétrole de l’Irak lui appartient. » Le barrage Atatürk est au centre du projet de développement du sud-est anatolien Great Anatolien Project (GAP). Ce barrage achevé en 1990, achemine de l’eau vers la plaine de Harran, dans le sud-est de la Turquie, par un tunnel de 26 km de long. On prévoit une intensification du conflit entre l’Irak et la Turquie à mesure que cette dernière tente de faire progresser son projet de 32 milliards de dollars, consistant à ériger 22 barrages sur l’Euphrate pour permettre l’irrigation de 1,7 million d’hectares de terre. Si deux barrages opérationnels venaient s’ajouter au barrage Atatürk, l’Irak perdrait 80 à 90% de sa part des eaux de l’Euphrate. Les projets de développement de l’eau sur l’Euphrate ont causé des conflits armés entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et les Kurdes. En 1974, il y a eu des incidents entre la Syrie et l’Irak. Le PKK a menacé de taire sauter le barrage Atatürk.
2- Une répartition inéquitable : L’usage de l’eau conditionne largement les relations entre Israël et ses voisins. L’Etat hébreu, dont les ingénieurs et les agriculteurs ont réalisé des promesses en faisant « fleurir le désert » n’a guère de ressources propres en eau. Il dépend, d’une part des nappes phréatiques situées en partie ou en totalité en Cisjordanie, d’autre part du Jourdain, fleuve frontière, qui alimente le lac de Tibériade. Or, des quatre rivières dont la réunion forme le Jourdain, une seule, le DAN, prend sa source en Israël, le Yarmouk et le Banias en Syrie, le Hasbani dans le Sud-Liban. En 2001, les Israéliens ont menacé de bombarder le canal de dérivation des eaux du Hasbani, tout nouvellement construit. Aujourd’hui, plus de 60% de l’eau consommée par les Israéliens, notamment pour l’irrigation agricole, sont prélevés dans les territoires palestiniens occupés par Israël, en particulier en Cisjordanie et une grande partie des installations hydrauliques sont situées hors des frontières d’avant 1967. Située en aval du lac de Tibériade, au niveau duquel Israël prélève les eaux du Jourdain supérieur, la Jordanie dépend de fait de son voisin. Elle se trouve dans une situation de pénurie tout aussi critique ; à Amman, l’eau ne coule au robinet que 3 jours par semaine. Les territoires palestiniens ne sont pas moins assoiffés. L’eau entièrement sous le contrôle d’Israël, est très inégalement repartie. La question de l’eau a jusqu’à présent été reportée aux négociations finales, toujours repoussées. Elle constitue une redoutable bombe à retardement.
Chapitre 2 : l’avenir
1- La préservation de l’eau : La crise de l’eau est grave et l’humanité ne peut se permettre de la négliger. Les dirigeants politiques devront redoubler d’efforts pour mettre en œuvre les politiques et pratiques susceptibles d’assurer l’avenir de la planète. La stratégie la plus importante consiste à préserver les ressources hydriques et à régénérer les eaux polluées. Elle requiert, de la part des citoyens du monde, un changement d’attitude radical à l’égard de l’eau. Autrement dit, les êtres humains doivent cesser de s’imaginer que l’eau est une ressource inépuisable qu’ils peuvent gaspiller afin de satisfaire tous leurs besoins et caprices. Ils vont devoir modifier leurs habitudes et satisfaire ces besoins en fonction des ressources hydriques disponibles. Grâce à certaines techniques éprouvées et accessibles, l’agriculture pourrait réduire sa consommation d’eau de 50%, l’industrie de 90% et chaque agglomération urbaine d’un tiers, sans que la production économique ou que la qualité de vie en soient le moins du monde sacrifiées.

Des spécialistes de l’environnement ont décrit de façon détaillée les techniques et les pratiques qui permettraient de diminuer la consommation d’eau dans le domaine de l’agriculture. Les énormes subventions accordées pour l’irrigation des cultures non durables sur des terres arides doivent être supprimées. Seules les terres riches en eau devraient être utilisées pour les cultures vivrières avides d’eau. En outre, les preuves que l’élevage intensif nuit aux ressources hydriques, aux animaux et aux être humains sont de plus en plus nombreuses et indiscutables. Par conséquent, il faut bannir, ou du moins réglementer sévèrement, ce type d’élevage. Il faut aussi interdire l’usage des pesticides, d’herbicides, d’antibiotiques de nitrates et d’engrais chimiques, ou exiger que cet usage soit soumis à un contrôle draconien. Les ressources hydriques existantes ne permettent pas une agriculture de type industriel. Il faut donc appeler tous les gouvernements à légiférer pour la contrecarrer. Il faut également créer des programmes internationaux favorisant les cultures et l’élevage à petite échelle. Dans les pays méditerranéens et partout dans le monde, les pertes d’eau massives attribuables à de mauvaises méthodes d’irrigation pourraient être facilement et considérablement réduites. Il suffit d’avoir recours à des techniques nouvelles et plus efficaces, à une meilleure gestion et à des pratiques agricoles écologiques, dont l’irrigation au goutte-à-goutte et l’utilisation d’arroseurs permettent d’économiser l’eau. Les systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte distribuent l’eau directement au pied ou à la racine de la plante, ce qui évite l’évaporation. Avec la méthode habituelle, 80 % de l’eau distribuée ruisselle et s’évapore. A l’heure actuelle, le système de goutte-à-goutte n’est employé que sur 1 % des terres irriguées de la planète.

Pour les centaines de milliers de fermiers et paysans pauvres autour de la Méditerranée (Sud et Moyen-Orient) l’irrigation au goutte-à-goutte et d’autres techniques conçues pour des petites exploitations représentent les seuls moyens d’assurer une distribution d’eau équitable et durable. De ce fait, on considère de plus en plus que la production agricole à petite échelle pratiquée par le cultivateur est un exemple à suivre en matière d’économie d’eau. Conjuguées aux méthodes d’irrigation plus écologiques, les solutions à la crise de l’eau doivent aussi se fonder sur un rejet beaucoup plus ferme des projets de grands barrages et de détournements de cours d’eau. Les rivières et les fleuves qui coulaient autrefois vers la mer doivent être libérés afin que leurs eaux puissent enrichir les bassins hydrographiques et offrir un habitat propice à la vie aquatique. Cette régénération prendra des années, mais la nature fera sa part si on met fin à la construction de barrages. La protection de la nature et le développement des sociétés humaines relèvent d’une démarche globale axée sur la coopération locale, régionale et internationale. Le respect de la nature doit devenir le principal objectif du mouvement mondial pour la préservation de l’eau. Enfin il est indispensable d’obéir à une loi fondamentale de la nature : le rythme d’extraction de l’eau provenant d’une nappe souterraine ne peut dépasser celui de son renouvellement naturel, sinon nos enfants connaîtront une pénurie totale d’eau. En matière d’eau douce, la loi de la nature est claire, l’extraction ne peut excéder le renouvellement.
2- Les droits fondamentaux : L’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU a marqué un tournant décisif dans le long cheminement effectué par la communauté internationale pour défendre la primauté des droits de l’homme et du citoyen sur toute forme de tyrannie politique ou économique. Pourtant, un demi-siècle plus tard, un bon milliard de personnes se voit encore refuser l’exercice d’un des droits fondamentaux garantis dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : le droit de disposer de l’eau potable. Au cours des cinquante dernières années, les droits du capital privé se sont élargis de façon exponentielle, alors que les droits des pauvres n’ont cessé de régresser sur l’échiquier politique. Ce n’est pas par hasard que l’appauvrissement des ressources hydriques partout dans le monde s’est produit en même temps que la croissance du pouvoir des entreprises transnationales et d’un système financier mondial responsable de la dépossession des collectivités, des peuples autochtones et des petits fermiers. La sécurité hydrique et écologique de la planète et de l’humanité est totalement incompatible avec la vente de l’eau au plus offrant sur le marché libre. Si les citoyens perdent toute emprise sur ce précieux bien commun, ils ne pourront pas non plus instaurer les conditions propices à sa conservation et à son partage équitable.

Les mouvements populaires en faveur de la préservation de l’eau doivent absolument mettre l’accent sur l’instauration de droits fondamentaux sur l’eau pour tous. Cette ferme position exige qu’ils s’opposent avec vigueur à la privatisation des réserves mondiales d’eau douce. Les Etats doivent comprendre qu’il est de leur responsabilité de protéger les ressources hydriques et de fournir de l’eau à tous les citoyens, car il s’agit là d’un droit fondamental. Certes, il ne faut pas écarter la possibilité que les Etats facturent la consommation d’eau dans le but d’éviter le gaspillage. Mais cette pratique ne peut pas relever que d’un système public dont les recettes serviront non pas à enrichir les actionnaires et les PDG, mais à régénérer l’eau, à réparer les infrastructures et à construire des réseaux d’accès universel à l’eau. En ce début du 21e siècle, l’eau est au cœur de l’avenir économique et de la stabilité des sociétés des pays de la rive sud de la Méditerranée. L’enjeu est de taille. La continuation de l’impasse meurtrière dans le conflit israélo-arabe due à la politique du gouvernement Israélien ; une politique de création de nouveaux faits accomplis (colonisation, expropriation des terres, mur de séparation, génocide de Gaza) rend un règlement des questions de l’eau plus difficile, même si à l’avenir un règlement du conflit s’avère probable. Mais ce qui est impératif, c’est d’avoir la volonté de compromis, la sagesse et la vision futuriste ; on a tout à gagner dans la coopération et on a tout à perdre ou bien à ne pas gagner assez en l’absence de coopération. L’idée de coopération régionale n’est plus un choix idéologique ou un luxe politique, c’est plutôt une nécessité stratégique de survie. Mais qui dit coopération régionale dans ce secteur, comme dans d’autres, dit aussi règlement global et juste du conflit israélo-arabe.

Cette crise de l’eau qui accable aujourd’hui les peuples du sud de la Méditerranée sera peut être à l’origine de la paix mondiale. Alors, grâce à ses efforts, l’homme reconnaîtra que les eaux sacrées de la vie sont le patrimoine commun de la terre et de toutes les espèces et que ce patrimoine doit être préservé pour les générations futures.

Par M. Zouaoui Mourad

L’épandage des crues: Le génie des pharaons dans la gouvernance des eaux de surface dans le désert

L’irrigation parait avoir une ancienneté égale à celle des premières sociétés humaines. On peut suivre ses traces dans les traditions des peuples primitifs qui se fixèrent soit en Mésopotamie et toute l’Asie, soit au nord de l’Afrique et notamment en Egypte, soit au midi de l’Europe. Des régions où, d’après les principales croyances, s’est trouvé placé le berceau de la grande famille humaine.
Près de dix mille ans avant notre ère, l’art de corriger les inconvénients d’un climat sec et chaud, à l’aide des irrigations était déjà connu et exercé avec succès. Les égyptiens occupèrent les premiers rangs parmi les nations qui, anciennement, ont opéré la submersion des terres grâce à l’épandage des crues, comme moyen d’irrigation et de fertilisation (fertigation), approprié au terroir. Cette pratique, concentre à elle seule, toutes les opérations d’irrigation, allant du stockage d’eau en passant par la canalisation jusqu’à la submersion. Cette entreprise placée dans des conditions éminemment favorables et effectuée sur une très grande échelle, a permis la vie prospère dans le désert de plusieurs dynasties pharaoniques. Ce fut là, les premiers pas de ces peuples de l’antiquité qui allèrent d’abord apprendre comment les mêmes eaux, qui sont si souvent ,pour l’agriculture, un fléau dévastateur, peuvent devenir pour elle un puissant élément de prospérité. En Algérie ce sont tout particulièrement les autochtones du M’zab et de la Saoura, qui vivaient depuis très longtemps de l’épandage des crues.

Aujourd’hui, la superficie qui bénéficie de cette technique est estimée à environ 110 000 ha. Les historiens nous font connaître les gigantesques travaux établis dans l’ancienne Egypte des temps les plus reculés pour mettre en réserve les eaux qui devaient entretenir, dans les plaines du Delta, cette fertilité extraordinaire dont il parait qu’aucune autre contrée n’a jamais offert d’exemple. Les premiers rois de ce pays, en rectifiant et en creusant le cours du Nil sur une très grande longueur, en élevant des digues longitudinales et transversales, avaient créé un système admirablement rentable pour une large distribution d’eau. Mais, il est essentiel de remarquer qu’un nombre considérable de vastes réservoirs associant dépressions naturelles et lacs artificiels, faisait la principale valeur de cette œuvre colossale. Indépendamment du lac Moeris, ouvrage colossal (12 000 ha), créé de main d’homme, aux temps les plus reculés, pour mettre en réserve à l’usage de l’irrigation, un énorme volume des eaux du Nil (2 milliards de mètres cubes d’eau), destiné à subvenir au cas où la crue ordinaire de ce fleuve ne serait pas assez abondante, plusieurs autres réservoirs artificiels, de la même ancienneté accompagnaient le cours supérieur et moyen du Nil.

Depuis les montagnes de la Nubie jusqu’aux plaines de la basse Egypte, ils constituaient ·le plus magnifique aménagement hydro- agricole qui ait jamais existé. Les principaux étaient ceux de Memphis, de Méroé, de Copthos, d’Hermontis etc. Ils occupaient des vallons entiers ayant de vastes superficies et contenant jusqu’à 2 millions de m3 d’eau que l’on pouvait rendre disponible au fur et à mesure que le besoin s’en faisait sentir. L’abondance remarquable ainsi que le retour périodique et régulier des crues annuelles du Nil, la faculté de répandre et de diriger à volonté ses eaux, sur de vastes plaines de la basse Egypte, au moyen de digues modestes, ont été, depuis un temps immémorial, les causes déterminantes de grands résultats ainsi obtenus au profit de l’agriculture de ce pays et de sa prodigieuse fertilité, passée en proverbe dans le monde entier. Dans les circonstances communes, le mérite des grandes irrigations qui consiste partout dans l’abondance et dans la régularité des eaux se tire du mode d’alimentation des rivières, dans les neiges des régions élevées. En Egypte, rien de semblable n’a lieu, car le Nil qui l’arrose prend ses sources dans les régions brûlantes d’Abyssinie où la neige même sur les hautes montagnes, ne résiste que quelques heures à l’usure silencieuse de la tiédeur permanente de l’atmosphère.

Mais les crues de ce fleuve sont générées à peu près régulièrement par les pluies d’une durée et d’une intensité inconnues partout ailleurs que dans les régions intertropicales, des pluies que les auteurs anciens ont nommé avec quelque raison, les cataractes du ciel. Il en résulte de là, que le Nil d’abord encaissé entre les montagnes et les collines, formant l’immense vallée de plus de 2 400 km de long qu’il traverse dans les royaumes de Sennaar et de Nubie, apporte sur les plaines de la basse Egypte une masse énorme d’eau, par laquelle ces plaines sont nécessairement submergées. Or, une inondation, livrée à elle-même ne peut avoir qu’une influence fâcheuse sur le terrain qu’elle recouvre, d’un côté par l’entraînement du sol cultivable, occasionné par les courants, d’un autre côté par l’inégale répartition des dépôts et atterrissements qui se forment en d’autres endroits. L’art des anciens égyptiens consistait à savoir retenir et distribuer habilement les eaux des débordements du Nil, de manière à les répartir peu à peu, sur la totalité de la plaine. Non seulement dans le but de la saturer d’humidité et de la préparer ainsi à recevoir l’action féconde du Soleil mais surtout pour y effectuer aussi complètement que possible le dépôt de limon précieux dont le Nil, après un si long trajet dans les terrains de toute nature, se trouve si richement chargé, à la partie inférieure de son cours. Des digues transversales au cours du fleuve et prolongées jusqu’aux parties les plus éloignées de la plaine, avaient donc été construites pour arrêter temporairement les eaux de crue et de leur laisser déposer sur les terres, ce limon fertilisant.

Un vaste système de limonage plutôt qu’une irrigation

De l’époque des pluies périodiques, le Nil commence à croître vers le solstice d’été et la crue parvient à son maximum au bout de trois mois, c’est-à-dire vers l’équinoxe d’automne. Il décroît ensuite graduellement pendant les neufs autres mois de l’année. Lorsque les eaux de l’inondation avaient atteint une certaine hauteur, déterminée par les nilomètres auxquels on a toujours attaché une grande importance, on coupait les premières digues, élevées quelques temps auparavant, à l’entrée des canaux de distribution établis sur les deux rives du fleuve et dirigés dans la haute Egypte, sous des directions plus ou moins obliques, vers les limites de la vallée. Parvenus au pied des montagnes qui les bordent, ces canaux se prolongeaient longitudinalement mais d’autres digues transversales en interrompaient encore le cours par intervalles et obligeaient les eaux à submerger régulièrement, de proche en proche, de grandes étendues de terrain. Plus les eaux s’élevaient en amont des digues par la hauteur naturelle de la crue, plus s’étendait au loin leur féconde influence. Quand la submersion avait atteint sa plus grande hauteur et qu’il s’était écoulé un temps suffisant pour que le limon tenu en suspension dans l’eau, eut pu se déposer sur le sol, alors les digues de retenues étaient elles mêmes coupées et les eaux qui continuaient de couler dans les canaux, allaient inonder les terrains situés en amont d’un nouveau barrage, puis ainsi de suite, jusqu’à la partie la plus basse de la plaine.

On conçoit aisément qu’on pratiquait ainsi un vaste système de limonage, plutôt qu’une irrigation proprement dite. Les canaux qui ne servent qu’à transmettre les eaux d’un bassin de retenue à l’autre, étaient moins essentiels que les digues qui servaient à les arrêter. Toute l’agriculture de l’ancienne Egypte était basée sur cet unique moyen d’amendement et l’on attachait à juste titre un très grand intérêt à tout ce qui concernait la marche de l’inondation annuelle du fleuve. Des nilomètres, placés sur les points les plus importants servaient à indiquer le progrès des eaux d’une manière certaine. Aux approches et pendant toute la durée de la crue, des préposés veillaient constamment sur ces nilomètres, que des idées superstitieuses faisaient regarder comme profanées, si une quelconque vulgaire personne se fut permise sur eux un seul regard de curiosité. Ces préjugés se conçoivent par l’importance extrême qu’avait le débordement pour l’immense population qui en attendait ses moyens de subsistance.

Selon le témoignage de Pline, la meilleure hauteur du Nil était d’un demi mètre mais au-delà de ce niveau, elle devenait dangereuse pour la conservation des digues et même pour les nombreux villages riverains qui se trouvaient entourés par l’inondation. Au contraire, il y avait famine en Egypte quand les eaux n’atteignaient que 30 cm sur le principal nilomètre. En revanche, quand l’inondation était complète et atteignait sa plus optimale hauteur, de manière à pouvoir se répandre jusqu’au pied des premières collines, formant la vallée du Nil, c’était le signe de grande réjouissance dans ce pays. Les crieurs publics qui, dans tous les cas, devaient faire connaître au peuple le progrès des eaux, parcouraient alors les villes au son des instruments, accompagnés d’enfants qui agitaient des banderoles multicolores. Puis s’arrêtant dans les carrefours de Memphis, Péluse, Hermopolis et Alexandrie, ils faisaient retentir ce cri de bon augure : « Dieu a tenu sa parole ». Les terres auxquelles les eaux de crue n’y arrivent pas, comme les points hauts, sont mises en eau à l’aide de machines, au moyen desquelles, les eaux étaient élevées au dessus de leur niveau naturel. Les historiens s’accordent à établir que la vis d’Archimède fut inventée par ce célèbre mathématicien des temps antiques dans un des voyages qu’il fit en Egypte et qu’elle eut spécialement pour but l’irrigation. Plus le climat était brûlant, plus il y avait intérêt à obtenir de grandes réserves d’eau, disponibles pendant la saison de sécheresse.

Ainsi, les principales ruines appartenant à ces grandes constructions existent-elles surtout dans des contrées jadis riches et populeuses dont l’agriculture ne pouvait prospérer que par l’emploi des eaux artificielles. Hérodote ne s’empêcha pas d’étaler sa sympathie pour les pharaons en écrivant : « Ces hommes sont les plus grands, les plus beaux et vivent plus longtemps ». La plupart des antiques empires d’Orient nous ont laissé de semblables vestiges. Les trois réservoirs des jardins de Salomon, en Palestine contenaient ensemble plusieurs millions de m3 d’eau, qui se renouvelaient entièrement chaque année. Les anciens persans, pour favoriser l’agriculture, avaient mis en honneur l’irrigation des terres à l’aide d’immunité et de privilèges exceptionnels, devant à coup sùr en faciliter l’extension. L’adapter à un terrain qui n’en avait pas joui encore, donnait droit pendant des années d’être dispensé de certaines charges publiques. Si l’on en croit le témoignage de Polybe, les particuliers qui créaient des irrigations nouvelles sur des terres improductives appartenant au souverain ou à l’Etat, en acquièrent par cela, la pleine propriété pendant cinq générations consécutives. De tels encouragements montrent combien ces peuples avaient su apprécier l’utilité de favoriser par tous les moyens possibles, un art aussi important, un art aussi vital. Les peuples de l’ancienne Grèce ou ceux du nord de la Chine qui occupèrent jadis ces contrées, se livrèrent- ils avec un grand soin particulier à l’irrigation des prairies parce que celles-ci étaient la base de la nourriture du bétail qu’il regardaient avec raison comme leur principale richesse.

La solution moderniste

Jusqu’au siècle dernier, les égyptiens étaient tributaires des crues du Nil qui venaient périodiquement ,une fois par an, déposer sur les berges du fleuve, les sédiments nutritifs nécessaires aux cultures. Mais tout comme les ruines étaient ensevelies sous le sable, le génie hydraulique des pharaons s’est peu à peu effacé des consciences, pour laisser place à la civilisation moderne de prouver sa suprématie. En 1902, un premier barrage fut construit par les anglais, l’ouvrage noyait la Nubie près de huit mois sur douze, mais montra aussitôt son incapacité à contenir les caprices du fleuve lors de son gonflement. Dans ces moments de grandes mutations, l’Égypte voit sa population croître de 3% par an pour passer de 10 millions d’habitants en 1900 à 40 millions en 1960 et allait atteindre 80 millions en 2008. Face à ce flux démographique, le pays n’arrivait plus à nourrir sa population. C’est ainsi que le Président Nasser, épris de gigantisme prit la décision en 1956 d’édifier le haut barrage d’Assouan ou Saad el Aali, afin pensa-t-il de satisfaire les besoins en eau, alimentaires et énergétiques de son peuple. L’entreprise allait chatouiller son ego et hisser encore plus haut son image que celle de ses ancêtres pharaoniques.

Avec l’aide des soviétiques, le chantier du siècle, qui démarra en 1962, permit d’entasser près de 43 milliards de métres-cubes de roches et de gravats au travers du courant d’eau. Plus besoin des nilomètres, l’ouvrage qui fait 17 fois la taille de la haute pyramide de Kheops, mobilisa 30 000 travailleurs qui allèrent oeuvrer durement pendant une dizaine d’années dans des conditions désertiques. Le barrage s’allonge sur 3 600 m, repose sur sa base de 980 m et dresse sa tête large de 40 m pour culminer à 111 m de haut. Le lac créé par ce barrage, baptisé au nom du raïs égyptien, s’étend sur une superficie de 5 000 km2 et une profondeur moyenne de 70 m. Il aura une capacité théorique de 157 km3 d’eau. Les eaux retenues ont commencé d’abord par chasser environ 500 000 nubiens de leurs terres, ensuite à engloutir des monuments et des temples vieux de 3 000 ans. Heureusement que quelques uns ont été sauvés en les démontant pierre par pierre, pour les transporter et les assembler plus loin et plus haut.

Certains temples ont définitivement sombré sous les eaux et la vase. Un environnement nouveau s’installe progressivement faisant différencier l’amont de l’aval. Le chantier se termine en 1971 et entre en production quatre années plus tard, pour retenir un volume d’eau de près de 80 km3• Outre les bienfaits immédiatement avérés, comme juguler les inondations, éloigner le spectre de la sécheresse, améliorer la navigation et étendre les surfaces irriguées, les eaux permettent aussi d’actionner les 12 turbines de la centrale électrique et développer ainsi 2,1 Gwatts par an. Au maximum de la crue, un flux de 11 000 m3/s passe à travers les vannes et en cas d’urgence, une fraction de 5 000 m3/s peut être évacuée par le canal reliant le réservoir à la dépression Toshka. Les effets néfastes de cette grandiose œuvre font surface au fil des années et les avantages du barrage sont de plus en plus critiqués. En effet, le niveau des nappes phréatiques dégringole à l’aval et les eaux souterraines ne constituent plus un rempart pour repousser et stopper les intrusions marines. Pendant des millénaires, les sédiments charriés par le Nil ont compensé l’érosion de la côte mais de nos jours les sels ont stérilisé 30 à 40 % des terres du Delta.

La mer gagne du terrain menaçant d’inonder le large Delta surpeuplé avec un impact corrélativement négatif sur le développement de la sardine et autres créatures endémiques. A l’amont des zones inondées on note l’apparition et le développement des schistosomiases endémiques, un ver nommé bilharzie est la cause de l’affection de bilharziose. Les pertes par évaporation sont estimées à 10 km3 par an. En revanche, les terres à l’aval ne bénéficiant plus de l’apport limoneux des crues et ce déficit de 150 millions de tonnes se caractérise par un appauvrissement progressif de la fertilité édaphique. L’utilisation préconisée des engrais et autres produits pesticides ,de plus en plus coûteux, va accentuer la pollution des terres et des eaux, rendre dépendant les agriculteurs et enfin les appauvrir. Les techniciens estiment avec un certain optimisme que le barrage serait envasé dans 750 ans. Aujourd’hui, de la Tanzanie à l’Égypte, près de 250 millions d’habitants vivent dans le bassin du Nil. En effet, ce dernier, bien qu’alimenté par trois fleuves et ayant un bassin de près de 2,8 millions de km2, n’offre un débit moyen de seulement 2 800 m3/s, soit 35 fois moins que le géant Amazone. Les eaux du Nil proviennent à 85% des plateaux éthiopiens, ce qui n’endigue pas toutes les tensions potentielles relatives au partage des eaux. Selon un rapport de la commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (ECA), l’Egypte bénéficie de 62 km3 d’eau du Nil permettant d’irriguer 3 millions d’ha tandis que le Soudan ne profite que de 16 km3 alors que l’Éthiopie est totalement ignorée. A l’ère de l’enviromania et après un demi-siècle de vitaux services, ce projet nassérien n’est plus qu’un colosse d’argile qui fait l’objet de multiples controverses. La gouvernance antique et l’éthique des ancêtres pharaoniques se sont avérées plus respectueuses de l’environnement et du développement durable.

Notes :

Bakre M. (1980). L’Egypte et le haut barrage d’Assouan. Presse univ. St Etienne, 191P. Buffon N. (1861). Hydraulique agricole. Application des canaux d’irrigation de l’Italie septentrionale. Tl, seconde édition, ed. Dunod, Paris, 558P.
Zella 1. (2006). Peut on rendre l’âme aux oasis algériennes. Quotidien El Watan Ed. 29/08/2006
Zela 1. (2009). La tête arrose les pieds. Quotidien El Watan Ed. 13/04/2009


Par Lakhdar Zella