jeudi 28 avril 2016

Béjaia : La Soummam se meurt

Ses torrents tumultueux ne sont plus hélas qu'un mince filet d'eau noirâtre et infect, et on ne compte plus le nombre de fois où des poissons sont retrouvés morts à la surface par manque d'oxygène. La reinette et l'anguille ont carrément disparu de l'oued Soummam et de ses affluents, comme l'Amarigh et le Bousselam. Le niveau de pollution de cette rivière est si important que la question qui se pose au stade actuel de ces agressions, n'est pas de savoir comment protéger son écosystème ou le peu qui en subsiste, mais de chercher plutôt le meilleur moyen de préserver la santé publique. Les agressions qui ont fragilisé l'écosystème de cet important cours d'eau qui sillonne toute la vallée de même nom, sur une centaine de kilomètres, trouvent leurs origines pour une grande partie dans les rejets d'eaux usées, les dépôts d'ordures ménagères et industrielles à même le lit d'oued et l'extraction inqualifiable de sable même si ce dernier fléau est en voie d'être jugulé. Que ça soit à Tazmalt, à Akbou, à Sidi Aïch ou à El Kseur, des montagnes de déchets ont pris possession des flancs de ce cours d'eau, quand ce n'est pas en son beau milieu que ces ordures sont déversées par les services communaux ou par les particuliers. A ces déchets s'ajoutent les rejets finaux de tous les réseaux d'assainissement. Ces eaux usées sont un véritable drame pour les nappes phréatiques, dont la Soummam, en raison de sa situation entre deux grandes chaînes de montagnes, les Babors au sud et le Djurdjura au nord, est un grand bassin hydrologique. «La pollution des nappes se trouvant dans la vallée n'est plus à démontrer. Il s'agit de savoir le degré de ces dégradations», alerte un ingénieur en environnement d'un bureau d'études en hydraulique de la wilaya. Et lorsqu'on sait qu'au moins une vingtaine de communes sont alimentées en eau potable à partir de forages réalisés aux abords de la Soummam, il y a lieu de réfléchir sérieusement à sauver ce qu'il y a lieu de l'être. Les communes dont les réseaux d'AEP prennent naissance de ces forages sont très sensibles à ce sujet, mais en l'absence de moyens et de projets environnementaux d'envergure comme les stations d'épuration, leur action se limite à des opérations de traitement de l'eau par le procédé de javellisation. Quelles solutions ? «Le laboratoire d'hygiène intercommunal croule sous les demandes d'analyses d'échantillons d'eau prélevées chaque jour par les équipes du BHC», nous dit un agent du laboratoire d'hygiène de Tazmalt. «Quand les résultats sont positifs, il est demandé au BHC d'agir pour traiter en amont le réservoir qui alimente la localité d'où provient l'échantillon», ajoute la même source. Face à ce phénomène alarmant, la «riposte» des pouvoirs publics a été lente et surtout disproportionnée compte tenu du degré de ces atteintes. Pour endiguer les multiples décharges connues pour être des points noirs dénotant avec la beauté des paysages de la vallée, la direction de l'environnement planche sur «la réalisation de cinq décharges contrôlées ainsi qu'un CET (centre d'enfouissement technique) à Sidi Aïch», affirme Rachida Aourir, chargée du service des marchés de cette administration. Pour le million d'habitants que compte la wilaya, c'est insuffisant. «De toute manière, le programme de réalisation de décharges contrôlées et de CET est en butte au problème de l'indisponibilité du foncier. Et quand on trouve des assiettes de terrain, les citoyens manifestent une opposition parfois farouche à leur implantation», déplore notre interlocutrice. C'est le cas par exemple à Tazmalt où le projet de réalisation d'une déchetterie a failli tourner court en raison de l'opposition des habitants d'Allaghan. Le projet, au grand soulagement de la société civile, est quand même maintenu grâce aux efforts de la commune qui a mené une campagne de sensibilisation quant à l'utilité de cette installation. Cependant, les réseaux d'assainissement «officiels» d'une longueur totale de 2705 km qui déversent directement dans la Soummam des quantités inestimables d'eaux usées, n'ont pas reçu le même traitement de faveur que les décharges sauvages. Et pour cause, «hormis les unités industrielles qui possèdent leurs propres stations d'épuration, à l'image d'Alfaditex, Alcovel, Danone, on compte sur les doigts d'une seule main les unités de purification des eaux usées», nous confie pour sa part Saïda Ouanes, ingénieur à la direction de l'environnement. Selon notre interlocutrice, «pour les petites unités industrielles, les huileries dont les margines polluent les oueds et les stations de lavage auto, obligation est faite d'installer avant tout démarrage des activités des bassins de décantation». Elle déplore cependant le fait que certaines huileries ne se soient pas adaptées à cette mesure. A la direction des ressources en eau, partenaire incontournable dans ce programme de protection de l'environnement, on reste optimiste toutefois même si le nombre de stations en exploitation est réduit à sa plus simple expression, du moins du côté de la vallée. «Nous comptons deux stations au chef-lieu de wilaya, deux autres en voie de réalisation à Akbou et à Sidi Aïch et enfin une autre est proposée à Tazmalt», nous affirme un cadre de l'administration de l'hydraulique de la wilaya. Mesurées au niveau de dégradation de l'environnement de la Soummam, le nombre de ces installations reste insuffisant. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, les crues hivernales qui «nettoient» d'habitude les lits d'oueds en charriant tous les déchets vers la mer, en raison d'une pluviosité des plus avares, se sont faites rares cette année. A. A. source: http://letempsdz.com/index.php/132-actualite/175130-b%C3%A9jaia-se-meurt